Epargne & placements : quels comportements des Français face au choc de l’inflation ?

[Juillet 2022] Face au choc de l’inflation, l’aspiration des ménages à épargner reste très élevée mais ils craignent de ne pas y parvenir. Leur taux d’épargne resterait, en 2022 et en 2023, nettement supérieur à la moyenne pré-Covid. Mais leurs choix d’actifs sont brouillés par l’inflation et la hausse des taux réglementés.

Une forte motivation à épargner, une difficulté croissante à y parvenir

L’ampleur du choc inflationniste sur le pouvoir d’achat (selon notre baromètre BPCE-Audirep, les Français jugent leur situation financière beaucoup plus négativement qu’en février 2019 durant la crise des Gilets Jaunes et les 2/3 d’entre eux anticipent une accélération à venir de l’inflation) et le ralliement récent des catégories moyennes à la vision pessimiste des catégories modestes conduisent respectivement 80 % et 58 % des Français à réduire, voire à supprimer certaines dépenses de consommation. Leur relation à l’épargne est plus ambivalente : la hausse des prix est devenue l’un des principaux motifs d’épargne et l’aspiration à mettre de l’argent de côté se maintient à ses plus hauts d’autant qu’elle est également nourrie de préoccupations de long terme (retraite, hausse de la dette publique…) mais, parallèlement, les Français n’ont jamais été aussi pessimistes sur leur capacité à épargner depuis début 2019, particulièrement les plus modestes.

La crainte de l’inflation, mais pas que …

Dans un contexte économique marqué par un risque de stagflation, caractérisée conjointement par beaucoup moins de croissance, un régime d’inflation durablement plus élevée et la remontée induite des taux d’intérêt à la suite du virage monétaire de la FED et de la normalisation plus tardive des taux d’intérêt par la BCE, la croissance du PIB français pourrait ne pas dépasser 2,1 % en 2022, avant de ralentir à 0,8 % en 2023. L’inflation moyenne serait proche de 5,6 % en 2022, puis de 3,4 % en 2023. Le taux d’épargne français resterait proche de 16,2 % en 2022, puis à 15,8% en 2023, après 18,7% en 2021 et 21 % en 2020, ne retrouvant pas rapidement le niveau de 15 % d’avant-Covid, face à la montée des incertitudes et à la flambée de l’inflation, en dépit de la sur-épargne accumulée pendant la pandémie et malgré les moindres craintes sur le chômage. Il est vrai que la hausse récente du taux d’épargne a principalement été le fait de ménages aisés, dont la propension à consommer est plus réduite que la moyenne. L’insuffisance des rendements, surtout si l’inflation plus forte érode la valeur réelle de leurs actifs financiers, les pousse à maintenir une épargne d’autant plus abondante que ces personnes aisées anticipent des hausses futures d’impôts, face à la dérive des finances publiques.

Mesurés en excédents (flux hors intérêts et capitalisation des intérêts), les placements financiers, qui ont atteint un record absolu de 149,3 milliards d’euros en 2020, poursuivraient progressivement leur recul, de 111 milliards d’euros en 2021 vers 89,6 milliards d’euros en 2022, puis vers 66,7 milliards d’euros en 2023, en raison d’une part, du recul puis de la faiblesse du pouvoir d’achat des ménages et d’autre part, du ralentissement attendu de la distribution de crédits immobiliers, accentué en 2023. Ces niveaux pourtant toujours très élevés au regard d’une situation normale s’expliqueraient par un comportement d’encaisse réelle face au changement de régime de l’inflation et par l’anticipation d’une hausse de la fiscalité, dans un contexte d’incertitude et de lassitude face à la permanence des crises à répétition rapide. Ces perspectives supposent donc que la sur-épargne accumulée en 2020 et 2021, non seulement ne serait pas consommée en 2022 et 2023 mais se prolongerait, certes à un rythme moindre, en 2022.

Placements et arbitrages : des Français perplexes face aux bouleversements en cours

Concernant les arbitrages, la sensibilité à la hausse récente du taux du livret A (passage de 0,5 % à 1 % au 1er février) apparaît nettement perturbée et réduite par la très forte hausse de l’inflation, le rendement réel (hors inflation) instantané devenant particulièrement négatif (inférieur à -4 %). Le baromètre BPCE-Audirep de juin 2022 montre la perplexité des épargnants, la plupart ne parvenant pas à se prononcer quant au degré d’attractivité des différents supports dans un contexte inflationniste. En effet, leurs repères sont brouillés à la fois par le retour de l’inflation et par la hausse encore limitée des taux réglementés qui restent encore éloignés, à 1 %, du seuil psychologique de nature à déclencher des arbitrages importants et qui se situe à proximité de 2,5 %. 
Il apparaît dès lors très probable que les effets des hausses de taux ne soient pas linéaires mais s’amplifient à mesure que l’on approche de ce seuil de 2,5 %. Ainsi, le test fait en juin dans le baromètre BPCE – Audirep sur la réaction des épargnants à une hypothèse de hausse du taux réglementé de 1 % à 1,5 % confirme une sensibilité beaucoup plus forte que lors de la précédente hausse de 0,5 % (46 % des épargnants envisageant d’arbitrer en faveur des livrets contre 31 % en février pour le passage de 0,5 % à 1 %). 

Une collecte favorisée par les livrets, et notamment par hausse du taux du LEP

Ainsi, sur les derniers mois, l’impact favorable de la hausse du taux de 0,5 % sur le Livret A a été bien inférieur aux références antérieures : sur 6 mois, toutes choses égales par ailleurs, il s’élèverait à 4,2 milliards d’euros , au lieu des 8,4 milliards d’euros estimés par l’économétrie. De plus, l’effet positif de la hausse du taux du LEP (à 2,2 % en comparaison de 1% pour le Livret A) que l’on peut évaluer à 3 milliards d’euros de collecte supplémentaire, a vraisemblablement concurrencé le premier effet sur le Livret A et le LDDS pour les clientèles modestes, tout en déformant la hiérarchie des rendements dans l’esprit des ménages. S’y ajoute aussi peut-être une forme de saturation des plafonds du Livret A et du LDDS pour les ménages les plus aisés, ce qui limite mécaniquement la collecte sur ces produits. Au contraire, concernant le LEP, malgré un plafond fréquemment atteint, le nombre de détenteurs, proche de 7 millions, offre une marge de progression importante car il reste très inférieur au nombre de bénéficiaires potentiels (près de 15 millions), selon l’Observatoire de l’Epargne Réglementée de 2021.
Les arbitrages habituellement attendus de la hausse du taux du Livret A ont aussi été modifiés pour le Livret B-CSL, le PEL et l’assurance-vie mais sont restés relativement conformes pour les DAV (-3,2 Md€). Ainsi, il est probable que les livrets réglementés ont fortement profité de la tendance à l’accélération de la décollecte sur le PEL (-0,8 Md€), dont la dernière génération a une rémunération nette de fiscalité (0,7 %) très inférieure à celle du Livret A (1 %). Les livrets ordinaires CSL (-4 Md€) paraissent pâtir de leur quasi-absence de rendement et de la non-revalorisation d’une offre concurrente de livrets ordinaires. A contrario, l’assurance vie a été peu affecté par l’effet négatif traditionnellement observable sur les produits en Euros lors d’une hausse des taux réglementés. 

Un impact important sur l’assurance vie et les contrats en UC

L’assurance vie bénéficie principalement de l’élan des produits en UC, dont la dynamique est aussi alimentée par les plans d’épargne retraite (PER). En effet, le succès du PER est largement imputable aux supports distribués par les assureurs. Dans un contexte de forte appétence pour la préparation de la retraite renforcée actuellement par les incertitudes associées au projet de réforme des retraites du gouvernement, la collecte nette, hors transferts sur les PER des assureurs, représente l’équivalent de 28 % de la collecte nette d’assurance vie depuis un an. Par ailleurs, les supports en UC bénéficient également d’un recul limité mais progressif de l’aversion au risque dans une conjoncture jugée globalement peu favorable à la Bourse, d’où un report des flux sur titres vers l’assurance vie en UC depuis 18 mois. 

Les arbitrages entre produits financiers, certes toujours guidés par l’attentisme, la recherche de sécurité et de disponibilité au détriment du risque, devraient donc être bousculés par l’ampleur des modifications brutales des taux réglementés en 2022 et, a fortiori, en 2023, sans parler de l’effet de l’envolée, perçue par les ménages, de l’inflation, qu’il s’agisse du Livret A et surtout du LEP. Plus les taux réglementés s’approcheront ou dépasseront un seuil psychologique de rémunération situé autour de 2,5%, plus les arbitrages vers ces produits seront massifs, avec des risques importants d’effets d’offres non mesurables sur les LEP, via les ouvertures nouvelles, ou sur les livrets fiscalisés, les OPC monétaires et les obligations, via une relance de l’offre soutenue par la hausse des taux d’intérêt. Ces effets d’offre s’opèreraient au détriment des DAV non rémunérés mais aussi des PEL et de l’assurance vie en euros dont la rémunération resterait plus inerte.  En particulier, la collecte du LEP pourrait même surpasser la prévision (7,2 Mds€ en 2022), car les rendements successifs prévus, qui sont très au-dessus des seuils psychologiques de rémunération, sont d’autant plus susceptibles de produire des effets non linéaires que la clientèle éligible est double de celle qui détient actuellement ce produit et que le montant moyen sur le LEP est élevé (5 600 euros). On assisterait également à un déplacement progressif des compartiments les plus liquides et immédiatement mobilisables vers les placements dont les rendements apportent aux épargnants un début de protection contre l’inflation, en raison des hausses successives de taux réglementés.