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[Août 2023] L’immobilier commercial européen est fortement affecté par la hausse des taux et l’inflation. Jusqu’où ira la baisse des prix et quelles conséquences pour les acteurs du secteur ?
Les signaux d’alarme se sont multipliés ces derniers mois sur la santé de l’immobilier commercial. Le secteur s’est retrouvé pris en étau entre d’une part une inflation persistante qui se répercute sur les valorisations immobilières et, d’autre part, la hausse des taux qui élève le coût de refinancement des sociétés foncières. De plus, l’affaiblissement des perspectives économiques engendrent un ralentissement de la croissance des loyers et une augmentation de la vacance.
Les analystes crédit de Natixis Corporate & Investment Banking ont estimé l’ampleur de la baisse des prix de l’immobilier commercial et les conséquences pour les sociétés foncières, les banques, les assureurs et le marché des prêts hypothécaires.
Avec une baisse de 60 % des volumes de transactions sur un an au 1er trimestre 2023, la baisse des investissements est le premier témoin du retournement de tendance observé sur l’immobilier, en particulier en Europe. Parallèlement, sous l’effet de la hausse des taux, les valorisations immobilières ont amorcé une baisse à partir du 3e trimestre 2022, après une période de hausse quasiment ininterrompue depuis 2009. En moyenne, l’immobilier commercial prime enregistre une baisse de 17 % pour les bureaux et la logistique et de 12 % pour les centres commerciaux, avec des disparités importantes selon la localisation, par pays et au sein d’une même agglomération.
Il convient cependant de relativiser : faute de transactions, cette baisse des prix n’est que partiellement entérinée, l’écart de prix entre acheteur et vendeur potentiels restant trop élevé pour la valider.
Pour estimer l’ampleur potentielle de la baisse de l’immobilier commercial européen d’ici à fin 2024 en raison de la hausse des taux d’intérêt, les analystes de Natixis Corporate & Investment Banking ont modélisé soit directement les valeurs des actifs, soit les taux de rendement prime. Selon eux, les bureaux, affectés en outre par la généralisation du télétravail, devraient se déprécier en moyenne de 20 % à 30 % par rapport aux niveaux observés à la fin du 1er semestre 2022. Une moyenne qui recèle des disparités importantes selon la qualité et la localisation des actifs.
Avec une baisse de valeurs estimée de 9 % à 20 %, le segment des centres commerciaux devrait être le plus résilient dans le contexte actuel. En effet, les valeurs d’actifs avaient entamé leur correction bien avant les autres segments, avec l’ère du « retail bashing1 » et la menace du e-commerce. Ainsi, depuis 2018, les valeurs ont déjà baissé de 45 % en moyenne en Europe.
De 9 % à 20 % dépréciation estimée des centres commerciaux
Les actifs de logistique devraient quant à eux se déprécier de 13 % à 23 %, particulièrement impactés par le fort ralentissement de l’activité avec une croissance attendue de 0,6 % en Europe, au plus bas depuis 2013.
Au cours des dix-huit derniers mois, quatre des vingt-deux sociétés foncières qui sont suivies par nos analystes ont vu leur notation dégradée et/ou leurs perspectives abaissées. Cette vague devrait se poursuivre, six sociétés sont considérées être en fort risque de dégradation. Sur une note plus positive, aucune, à l’exception d’une société suédoise, n’est en risque de rupture des covenants bancaires.
Les sociétés foncières sont en effet directement affectées par la dégradation des ratios de levier, sous l’effet de la baisse de la juste-valeur des actifs, et des ratios de couverture, sous l’effet de l’augmentation des taux d’intérêts et donc des charges financières. Les patrimoines de bureaux risquent de subir la plus forte baisse (-12,5 %), suivi de près par le secteur du résidentiel (-9,8 %). Les commerces, essentiellement composés de centres commerciaux, devraient continuer d’afficher une meilleure tenue des justes valeurs (-5,8 %).
Paradoxalement, la baisse de -4,1 % des patrimoines d’entrepôts ne semble pas refléter nos estimations de baisse sur le marché de l’immobilier logistique : la correction de valeur a déjà été très largement actée dans les patrimoines des foncières et le segment est soutenu par la forte croissance du commerce en ligne.
Les refinancements des foncières européennes d’ici à la fin de l’année sembleraient encore gérables au regard des liquidités disponibles et des rachats de dette effectués par anticipation. Les années 2025 et 2026 s’annoncent en revanche beaucoup plus problématiques, avec des tombées obligataires (hors dettes hybrides) supérieures à 25 milliards d’euros équivalent par an.
Avec 7 % du total de leurs encours exposés directement à l’immobilier commercial, les banques européennes sont sensibles à une augmentation probable des taux de perte sur ces actifs.
Le ratio loan-to-value (LTV) est un indicateur utile pour évaluer les vulnérabilités liées aux prêts immobiliers. Une forte augmentation du ratio LTV augmente la perte potentielle non couverte par le montant du collatéral en cas de défaut de l’emprunteur, ce qui pèse sur les fonds propres des banques et in fine augmenterait leurs exigences en matière de coussin de capital de la part du régulateur.
Il ressort de notre étude que les banques ont mis en place les efforts nécessaires pour réduire les niveaux de LTV, qui sont de l’ordre de 49 % en 2022 contre 75 % en 2010, avec néanmoins des structures très disparates selon les pays. En revanche, elles devront augmenter significativement leurs niveaux de provisions afin de faire face à des pertes potentielles à court-moyen terme.
10 % du portefeuille d’investissement des assureurs européens (hors Royaume Uni) est exposé à l’immobilier. Sur la base des informations communiquées par les assureurs, nous avons tenté d’estimer l’exposition des assureurs européens à l’immobilier commercial, en tenant compte des expositions à l’immobilier réel ainsi que de leurs participations dans des fonds de placement immobilier.
+ de 200 % c'est le ratio de couverture des assureurs européens
La solvabilité des assureurs européens est très solide avec des ratios de couverture qui dépassent 200 % en moyenne, leur permettant d’absorber d’éventuels chocs sur leurs expositions à l’immobilier commercial. Cela suggère qu’une baisse de l’immobilier commercial pose moins de risque de solvabilité à la plupart des assureurs. Toutefois, un effondrement pourrait mettre à mal la solvabilité des assureurs de petite taille.
Enfin, 25 % des programmes d’obligations sécurisées (covered bonds) sont adossés à des prêts hypothécaires commerciaux et résidentiels, avec une surexposition des Pfandbriefe aux prêts commerciaux. Nous estimons la sensibilité des spreads aux prêts commerciaux à seulement 2 points de base actuellement.
En effet, les obligations sécurisées bénéficient de plusieurs mécanismes de protection : ratios LTV conservateurs, forte sur-collatéralisation, gestion active du portefeuille (remplacement de prêts non performants par des prêts performants), et enfin, les investisseurs ont un recours tant sur le portefeuille de couverture que sur les actifs de la banque sponsor.
Cet article est une synthèse d’un rapport complet en anglais, réservé aux abonnés, qui comprend des recommandations d’investissement par pays et par émetteur.
1- désaffection pour le commerce physique au profit du commerce en ligne.