Les Rendez-vous de l’Epargne

Alain Tourdjman, directeur des Etudes économiques du Groupe BPCE, et Eric Buffandeau, directeur adjoint, ont présenté le bilan de l'épargne et des placements en 2019 et leurs prévisions pour l'année 2020.

Une deuxième partie thématique était consacrée à l’épargne-retraite et faisait le point, via le baromètre BPCE L’Epargne, sur l’appétence des ménages aux nouveaux PER issus de la loi Pacte et proposait une vision à court et moyen terme du développement de ces nouveaux supports.

Bilan 2019 et projections 2020 des placements des ménages

Les flux de placements financiers des Français (hors titres détenus en direct et hors intérêts capitalisés) ont atteint un niveau de collecte historique en 2019 de plus de 90 Md€ (74,5 Md€, titres compris). Ces placements nouveaux ont été très nettement tirés, d’une part, par l’accélération ponctuelle du pouvoir d’achat des ménages (plus de 2,1 % l’an, venant des mesures Macron, du recul de l’inflation et de l’accélération mesurée des salaires et de l’emploi) et d’autre part, par la distribution toujours très élevée de crédits immobiliers (progression de l’encours de 6,8 %). Dans ce dernier cas, la plus grande faiblesse des taux d’intérêt a davantage renforcé la demande de crédits au logement, l’endettement supplémentaire augmentant ainsi les placements financiers, en raison de la hausse des ressources arbitrables à la disposition des ménages. De même, le taux d’épargne a atteint 14,9 % (14,2 % en 2018), du fait d’un décalage habituel d’au moins quatre trimestres entre la hausse des revenus et le rebond espéré de la consommation.

En matière d’arbitrages, le faible coût d’opportunité à la détention d’encaisses non ou peu rémunérées a encore favorisé les dépôts à vue (DAV), qui ont atteint un pic historique de près de 40 Md€. Nous avons assisté à une recrudescence de la collecte sur livrets (A/LDDS & CSL), car une partie des ménages a commencé à s’habituer au contexte de taux bas et à envisager la rémunération du livret A en relatif plutôt qu’en absolu. L’assurance vie (25,9 Md€) a continué de se redresser mais les supports euros en forte hausse jusqu’à l’été, ont confirmé leur retournement depuis octobre, car un grand nombre d’assureurs ont décidé de freiner les entrées sur ce type de produit, du fait de la difficulté à assurer un rendement garanti dans un environnement de taux d’intérêt anormalement bas.

En 2020, le taux d’épargne devrait se maintenir à proximité de 14,9 % ou ne baisserait que légèrement. Néanmoins, la collecte nette de placements financiers hors titres s’affaiblirait vers 76,5 Md€, soit environ 58 Md€ titres compris, en raison du moindre dynamisme du pouvoir d’achat (1,4 %) et a priori d’une distribution de crédits immobiliers en moindre progression qu’en 2019. Dans un contexte de taux d’intérêt toujours historiquement bas, les épargnants privilégieraient encore l’épargne sécurisée et disponible au détriment de celle incorporant davantage de risque et de rendement comme les actions, même s’ils tendent à un peu mieux évaluer qu’auparavant les taux nets de fiscalité et d’inflation. Par ailleurs, la baisse du taux du livret A à 0,5 % pèserait, toutes choses égales par ailleurs, sur le livret A, le CSL et le LDDS, au profit de l’assurance vie (contrariant ainsi la tendance à la baisse liée au recul des supports euros) mais aussi des DAV. Ces deux supports collecteraient ainsi respectivement 25,5 Md€ et 37 Md€, soit 33 % et 48 % des flux nets hors titres.

Les Français et l’épargne-retraite

Dans le contexte de la réforme des retraites, selon le baromètre quadrimestriel BPCE L’Observatoire – Audirep (enquête menée en décembre 2019 auprès de 2 054 individus), 52 % des Français d’âge actif déclarent envisager d’épargner davantage pour leur retraite. Ces intentions, relativement homogènes au sein de la population, s’appuient sur un double consensus au sein de la population. D’une part, les trois quarts des actifs considèrent que leurs pensions futures ne seront pas suffisantes pour vivre correctement durant leur retraite. D’autre part, au-delà de l’équilibre budgétaire quotidien, les préoccupations financières des Français sont largement déterminées par les enjeux de l’allongement de la vie. La retraite est l’une des dimensions d’un ensemble d’aléas envisagés, incluant la dépendance, l’aide aux enfants, la transmission, la santé, la protection du conjoint…

Néanmoins, cette forte aspiration à épargner pour la retraite profite peu à l’épargne-retraite elle-même. Les principaux actifs privilégiés par les ménages permettent de répondre à une pluralité d’aléas : l’achat de la résidence principale, la souscription d’une assurance vie, l’immobilier locatif, voire l’épargne salariale. L’épargne-retraite n’est citée qu’ensuite, ce qui correspond à la faiblesse des capitaux mobilisés. En 2018, sur l’ensemble des supports individuels et collectifs, avec 237 Md€ d’encours elle se situe en-deçà de l’assurance vie mais aussi du Livret A. Elle a longtemps souffert de ses faiblesses congénitales : offre fragmentée et complexe, manque de visibilité et de souplesse, incompatibilité avec le projet d’accession et la multiplicité des aléas de la longue vie, cotisations moyennes trop faibles, diffusion marginale parmi les TPE et PME.

Le PER issu de la loi Pacte peut-il changer cela ? Un premier handicap apparaît : seuls 16 % des Français ont entendu parler et compris dans les grandes lignes le nouveau dispositif. Néanmoins, 27 % des personnes d’âge actif envisagent de souscrire à un PER individuel après présentation de ses caractéristiques tandis que 34 % sont indécis. Concernant les supports collectifs, 37 % des salariés du privé sont intéressés, cette proportion étant supérieure parmi les entreprises offrant cette possibilité.

Au total, 32 % des Français sont intéressés à souscrire un produit d’épargne retraite individuelle ou collective. Hors détenteurs d’un ancien produit d’épargne-retraite, le potentiel de souscription nouvelle concerne 24 % des actifs, soit plus de 7 millions d’individus dont le profil, plus jeune et moins aisé serait de nature à élargir sensiblement la base actuelle de diffusion sociodémographique du produit.

Il est clair que la loi Pacte a levé une partie des obstacles au développement de l’épargne-retraite avec la sortie en capital et la fongibilité des supports, l’implication des pouvoirs publics, le développement la concurrence, l’exceptionnalité de l’avantage fiscal à l’entrée… Un changement d’échelle de l’épargne-retraite devrait intervenir dès 2020 avec des cotisations brutes supérieures à 15 Md€. Néanmoins, les obstacles à une croissance rapide et soutenue sont nombreux : la méconnaissance globale du dispositif et sa diffusion limitée aux TPE et PME, la complexité réglementaire et fiscale de ce « jardin à la française » qui croise 3 supports différents et 3 à 4 « compartiments » d’alimentation, une sortie en capital qui reste pénalisée par la fiscalité… L’objectif d’atteindre 300 Md€ d’encours en 2022 risque d’être manqué par le temps d’appropriation nécessaire pour un dispositif aussi complexe.