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2023 : le grand chamboulement des placements financiers

[Juillet 2023] Les économistes de BPCE ont analysé les comportements des ménages en termes de placements financiers.

BPCE L'Observatoire

Des anticipations moins négatives des ménages

Après un an de dégradation de leurs perspectives, la plupart des indicateurs relatifs à la situation des ménages s’améliorent sensiblement, même s’ils reviennent au niveau de février 2019, en pleine crise des Gilets jaunes. Selon l’enquête BPCE-Audirep menée en juin 2023, leur vision de l’avenir, la perception de leur niveau de vie passé, comme leurs projections de pouvoir d’achat se redressent. L’inflexion tient en particulier à une anticipation d’inflation qui a basculé de la dynamique d’emballement à la stabilisation, sans toutefois envisager un repli. Pour autant, l’aspiration à épargner reste consensuelle et la capacité à épargner ne fléchit pas, sauf parmi les plus bas revenus. 

Un taux d’épargne qui devrait rester élevé

Le taux d’épargne s’est effectivement maintenu à un très haut niveau (18,3 % au 1er trimestre, après 18,7 % au 4e trimestre 2022) et les indicateurs d’opportunité et de capacité à épargner demeurent élevés malgré le relâchement des tensions sur le front de l’inflation, comme du chômage.

18,7 %
Le taux d’épargne au 4e trimestre 2022

En l’absence de gains significatifs de pouvoir d’achat, le taux d’épargne français, qui explique en grande partie la croissance anémique projetée en 2023 (+0,6 %) et en 2024 (+0,9 %), ne diminuerait ainsi que très modérément vers 17,8 % en 2023 et 17,6 % en 2024, loin de son niveau moyen de 15 % d’avant-Covid. Cette résistance de l’épargne tient à plusieurs facteurs. Ainsi, la forte hausse du taux d’épargne a principalement été le fait de ménages aisés, dont la propension à consommer est plus réduite que la moyenne et qui sont aujourd’hui vigilants car ils anticipent des hausses potentielles d’impôts, face à la dérive des finances publiques. Par ailleurs, l’inflation toujours forte et souvent supérieure au rendement des actifs financiers, érode leur valeur réelle et incite à épargner pour préserver leur pouvoir d’achat, c’est le phénomène traditionnel d’encaisses réelles.

Le paradoxe du recul des flux financiers

Malgré ce taux d’épargne durablement élevé, les flux de placements financiers devraient afficher un net recul en 2023 par rapport à 2022. En effet, contrairement au Royaume-Uni où ces deux variables sont intimement corrélées, en France, comme dans la plupart des autres pays d’Europe continentale, l’épargne est autant, voire davantage, affectée au financement de l’investissement-logement qu’à des emplois financiers. La disponibilité du crédit permettant de limiter cet autofinancement du logement par l’épargne et de libérer des ressources pour les flux financiers. 

Quand le crédit est plus rare et plus cher, la capacité à investir sur des actifs financiers est plus limitée, comme le montre l’exemple de l’Espagne entre 2011 et 2018 où les flux nets de placements ont été négatifs ou négligeables dans un contexte de désendettement où les flux nets de crédits ont été globalement négatifs pendant la décennie 2010. Dans la pratique, la contrainte budgétaire s’exerce sur les ménages par la montée du taux d’apport, la réduction des ventes nettes de propriétaires âgés réinvestissant dans des actifs financiers, la plus forte probabilité de mobiliser une épargne existante pour financer des travaux… Avec une baisse attendue de la production de crédit habitat de l’ordre de 30 % en 2023 et une progression des encours inférieure à 2 % (contre 5 % à 6 % les années passées), la raréfaction du crédit en France devrait fortement contribuer à la réduction des flux financiers en 2023 et 2024. 

L’approche des flux financiers retenue par BPCE L’Observatoire consiste à évaluer l’effort net de placement sur des actifs financiers (dépôts à vue, livrets, épargne-logement, comptes à terme, OPC, assurance-vie, titres cotés…) hors capitalisation des intérêts et valorisation boursière. Ces « excédents », solde des versements et remboursements sur chaque support, connaitraient une baisse de près de moitié (45,7 milliards d’euros, contre 82,4 milliards d’euros en 2022) imputable à la stagnation, voire la contraction, du pouvoir d’achat, et surtout au recul de la distribution de crédits.

Hausse des taux et allocation des flux financiers : des arbitrages sur stocks

La baisse des flux financiers irait de pair avec une multiplication des arbitrages entre actifs. En effet, dans un contexte de changement rapide et de grande ampleur des niveaux et de la hiérarchie des rendements d’actifs, ces arbitrages concerneraient non seulement les flux nouveaux mais plus encore des stocks déjà constitués, notamment sur les dépôts à vue, les livrets, l’épargne-logement ou l’assurance-vie.

Interrogés sur leur sensibilité à la hausse des taux, 21 % des Français (essentiellement les plus jeunes et les plus hauts revenus) disent avoir déjà procédé à des arbitrages et 20 % envisagent de le faire dans les six prochains mois en ciblant principalement les dépôts à vue pour leurs retraits et les livrets défiscalisés pour leurs versements. 

20 %
des Français envisagent des arbitrages dans les 6 mois

L’impact des hausses de taux réglementés est donc déterminant pour expliquer la structure des placements en 2023. Toutes choses égales par ailleurs, à partir de modélisations économétriques sur le passé, l’impact d’une hausse du taux du livret A de 50 points de base, mesuré toutes choses égales par ailleurs hors effet LEP, montre qu’il existe un risque important d’engendrer des arbitrages très violents entre actifs financiers, sans pour autant accroître le montant global du marché de l’épargne. L’effet serait a priori très positif sur le total des livrets (+12,6 milliards d’euros), dont le livret A (8,4 milliards d’euros), davantage considéré comme un placement d’épargne que le LDDS, mais également sur les CAT (8 milliards d’euros), en lieu et place des livrets B-CSL. Les arbitrages se feraient davantage aux dépens de l’assurance-vie (-13 milliards d’euros), notamment pour les produits en euros, que des DAV (-7,6 milliards d’euros), voire des livrets B-CSL (-0,9 milliard d’euros). Concernant spécifiquement le taux du LEP, celle-ci a un impact favorable pour le LEP d’environ 1,50 milliard d’euros pour 50 points de base de hausse de taux, avec des ressources provenant principalement du livret A, voire des DAV. De plus, le relèvement du plafond de ce dernier produit de 7 700 euros à 10 000 euros présente un potentiel de collecte supplémentaire de 2,6  milliards d’euros, si l’on suppose que la clientèle la plus attachée à ce produit, à savoir les 3 millions de personnes (sur 6,9 millions de détenteurs de LEP au 31 décembre 2021 selon le rapport annuel de l’épargne réglementée), dont le montant moyen dépasse les 7 700 euros de plafond (soit un montant moyen d’environ 9 111 euros), remplissait rapidement leur LEP pour saturer le nouveau plafond (10 000 euros). Enfin, la collecte de LEP serait également soutenue par un développement des ouvertures : le nombre de détenteurs actuel serait inférieur de près de moitié au potentiel de 19 millions de détenteurs éligibles selon le rapport de l’épargne réglementée. En revanche, contrairement à une idée très répandue, la hausse des taux réglementés ne pèse pas sur la consommation et ne se traduit par un accroissement des placements globaux, elle affecte strictement l’allocation et non le montant global des flux.

La rapidité et l’ampleur des hausses de taux réglementés depuis 2022 ont eu tendance à étaler l’impact des hausses antérieures, celles-ci continuant à produire leurs effets en 2023. Même en maintenant constant à 3 % jusqu’au 31 janvier 2025, le taux du livret A et du LDDS, la collecte atteindrait en 2023 des niveaux historiques sur ces deux supports avec des excédents respectifs de 43,4 milliards d’euros et de 16,8 milliards d’euros. Avec un taux du LEP à 6 % au 1er août et le relèvement de son plafond à 10 000 euros, sa collecte nette pourrait atteindre 16,2 milliards d’euros en 2023, soit plus d’un tiers de l’encours de fin 2022.

43,4 Md€
Estimation du niveau historique de la collecte du livret A en 2023

On continuerait donc d’assister au déplacement des compartiments les plus liquides et immédiatement mobilisables comme les DAV (- 41 milliards d’euros), et les livrets B-CSL (-35 milliards d’euros), vers les placements assurant un début de protection contre l’inflation, notamment en raison des hausses successives de taux réglementés ou d’un effet d’offre de rémunération lié à la hausse des taux de marché, notamment sur les comptes à terme. Une forme de compétition pour la liquidité, pourrait prendre des formes variées, qu’il s’agisse des livrets réglementés, des CAT, des OPC monétaires, voire de l’assurance-vie en UC réintermédiant des produits de taux.  Dans l’état actuel de l’offre et des niveaux de rémunération, les comptes à terme et, dans une moindre mesure, les OPC monétaires et les titres de créances capteraient l’essentiel de cette sensibilité aux taux de marché avec des collectes respectives de 52 milliards d’euros et 16 milliards d’euros. De plus, la collecte sur les PEL (-29 milliards d’euros) poursuivrait son érosion, pénalisée par la faiblesse des rendements pour tous les plans ouverts depuis le 1er août 2016 (1 %), la fiscalisation des gains et la fin de la prime pour les nouveaux plans (ouverts depuis le 1er janvier 2018), malgré la hausse – cependant insuffisante - de son taux (2 %, soit un rendement net de fiscalité inférieur à 1,4 %).

En conclusion

Toutefois ces prévisions de placements sont soumises à de nombreux aléas : l’ampleur actuelle des arbitrages sur flux et surtout sur stocks, ceux-ci étant particulièrement violents et inhabituels ; des risques importants d’effets d’offres non mesurables ex-ante sur les CAT, voire sur les livrets bancaires, les OPC monétaires et les obligations, sans parler des ouvertures potentiellement massives sur les LEP ; la nature et le temps d’adaptation des comportements d’arbitrage au nouvel environnement de taux d’intérêt, ces derniers étant désormais proches (ou supérieurs pour le taux à 6 % du LEP) du seuil de rémunération de 3 % au-delà duquel des transferts sont plus largement effectués par les ménages. Cette complexité nécessite aussi de faire des hypothèses sur le maintien des stratégies d’offre des établissements financiers, notamment sur les CAT et, à travers l’enveloppe fiscale de l’assurance-vie, des produits de taux, ces stratégies ayant été observées en début 2023.

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