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[Janvier 2024] Le Rendez-vous Epargne & Placements, réalisé et présenté par nos économistes, Alain Tourdjman et Eric Buffandeau, souligne l’ampleur record des arbitrages des placements financiers en 2023 et anticipe un retour à la normale en 2024. Explications.
L’aspiration à épargner des Français, représentée par le rebond de l’opportunité d’épargner dans l’enquête de confiance des ménages de l’Insee, demeure toujours exceptionnellement élevée en décembre 2023, en dépit même du repli des anticipations de prix depuis avril sous de la moyenne 1987-2022. La perception du passage d’un pic d’inflation par les particuliers n’a pas été suffisante pour réduire le taux d’épargne des ménages, alors que les tensions sur les prix ont précédemment justifié son maintien à un haut niveau, en raison d’un effet d’encaisse réelle. Celui-ci traduit la volonté de préserver la valeur réelle de ses actifs financiers en compensant leur érosion inflationniste par davantage d’épargne. Ce comportement s’est traduit par une quasi-stabilité du taux d’épargne à 17,7 % en 2023, très au-delà de son niveau de 15 % en 2019.
17,7 % Taux d’épargne des ménages en 2023
Paradoxalement, le taux de placements financiers (mesuré comme la différence entre les versements et les retraits sur l’ensemble des produits d’épargne, rapportée au revenu disponible brut), a baissé de plus de moitié en 2023 (2 % du revenu) par rapport à 2022 (5 % du revenu). La corrélation parfois observée avec le taux d’épargne ne suffit donc pas à expliquer le taux de placements financiers. En effet, celui-ci dépend non seulement de la progression du pouvoir d’achat mais également de la disponibilité du crédit, notamment pour l’habitat, ce qui permet mécaniquement de libérer des ressources pour les flux financiers. Le repli du crédit habitat en 2023 a exercé une contrainte budgétaire sur les ménages, qui a réduit fortement les flux financiers. Pratiquement, cette contrainte budgétaire entraîne la montée du taux d’apport (d’autant que le rendement des actifs financiers devient inférieur au coût du crédit), la réduction des ventes nettes de propriétaires âgés réinvestissant dans des actifs financiers, la plus forte probabilité de mobiliser une épargne existante pour financer des travaux…
C’est ainsi que l’on a assisté, en dépit du maintien paradoxal de l’épargne de précaution, à un effondrement de la collecte nette hors intérêts de janvier à novembre 2023 : 13,1 milliards d’euros (hors titres et numéraire), contre une moyenne 2018-2019 à 67,2 milliards d’euros. Ces flux globaux très faibles dissimulent pourtant des arbitrages records, de l’ordre de 310 milliards d’euros, à hauteur d’environ 9 % des stocks d’actifs concernés. Presque chaque support a ainsi connu, soit une collecte sans précédent (livrets défiscalisés, comptes à terme, voire assurance vie en UC…), soit une décollecte historique (dépôts à vue, livrets fiscalisés, assurance vie en euros, PEL…). La collecte a surtout été tirée par les livrets réglementés (livret A à +34,5 milliards d’euros, LDDS à +10,3 milliards d’euros, LEP à +18,7 milliards d’euros), du fait de la forte hausse des taux réglementés et du plafond du LEP, et par un effet d’offre sur les CAT (+70 milliards d’euros), voire l’assurance vie (+3,4 milliards d’euros, dont +28,8 milliards d’euros de produits UC). Cette collecte positive s’est effectuée au détriment des DAV (contraction historique de -54 milliards d’euros), des livrets B-CSL (-36,7 milliards d’euros) et des PEL (-32,1 milliards d’euros). Contrairement aux apparences, la collecte d’assurance vie a été très dynamique, avec une progression des cotisations de 9 % et une part des UC dans ce chiffre d’affaires de 41 %. Cependant, les prestations (les sorties) ont augmenté de 18 %, et de 37 % pour les UC. La part des prestations rapportée à l’encours de 2022 est ressortie à plus de 8,4 % en novembre, niveau approchant, sans l’atteindre, celui de 2012, au moment de la crise des dettes souveraines européennes.
+9 % Collecte d’assurance vie (progression des cotisations)
Ces arbitrages records s’expliquent d’abord par la forte hausse des taux réglementés en 2023 : +100 pb pour le taux du livret A, maintenu depuis février à 3 % sur l’année ; +140 pb pour le taux du LEP, passé à 6 % en aout, avec un plafond réhaussé de 7 700 € à 1 0000€ le 1er octobre… l’effet positif sur les livrets défiscalisés trouvant sa contrepartie dans l’assurance vie en euros et les dépôts à vue. Toutefois, ces derniers, comme les PEL, ont été principalement affectés par la remontée des taux de marché qui s’est manifestée à travers l’offre de fonds UC et surtout de comptes à terme, en substitution de l’offre traditionnelle à taux de marché proposée via les livrets fiscalisés.
Qu’en résulte-t-il sur le patrimoine financier des ménages français depuis 32 ans ? L’encours, hors actions non cotées, a été multiplié par près de 5 en 33 ans (de 902,6 milliards d’euros en 1990 à 4 427,7 milliards d’euros en 2023), quand l’inflation ne l’a été que par 1,7. Le patrimoine financier s’est aussi nettement recomposé de 1990 à 2023. La part de l’assurance vie est passée à 42,1 % du total, soit une part aussi importante que l’épargne bilantielle (40,4 %) en 2023. On a assisté à un recul continu des titres, ceux-ci s’établissant à 17,4 % en 2023, contre 36,2 % en 1990 tandis que les DAV, les CAT et les livrets retrouvaient une place presque similaire à celle de 1990.
x5 Le patrimoine financier des ménages en 32 ans
La préparation de la retraite reste l’une des principales préoccupations financières des ménages : les deux tiers des Français se disent préoccupés par le niveau futur de leur pension de retraite et la même proportion d’entre eux jugent prioritaire de se constituer une épargne à cette fin. Ces indicateurs sont relativement stables sur longue période et n’ont guère été affectés, ni par la récente réforme des retraites, ni par la loi Pacte en 2019.
En revanche, l’allocation de cette épargne pour la retraite s’est profondément modifiée : principalement orientée vers l’immobilier et l’assurance vie (ou les livrets) jusqu’en 2019, les supports d’épargne-retraite, individuelle ou collective, ont aujourd’hui pris le pas sur l’assurance vie dans les intentions de placement. La lisibilité, l’universalité, la fongibilité et la simplification de l’épargne-retraite ont permis de dépasser les freins traditionnels à son développement et 28 % des actifs sont aujourd’hui détenteurs d’un support d’épargne-retraite, dont 19 % à titre individuel.
L’année 2023 a confirmé le succès du PER, montrant ainsi que sa progression antérieure n’était pas dû à un effet d’annonce s’étiolant rapidement à l’exemple du PERP. Si l’on en juge par les données disponibles pour le deuxième trimestre 2023 pour l’ensemble du marché, le PER devrait avoir dépassé les 100 milliards d’euros d’encours et les 10 millions d’assurés à la fin de 2023, à comparer aux 13,5 millions d’assurés estimés par la DREES pour 2019, depuis l’origine et pour l’ensemble de l’épargne-retraite.
PER : 100 Md€ d’encours
Pour autant, le principal succès du PER ne réside pas dans ces données globales, en partie tributaires de transferts entre produits. En effet, si l’on observe les données hors transferts sur l’épargne-retraite individuelle – qui était jusque-là le parent pauvre des supports dédiés -, le PER marque une rupture majeure sur les ouvertures nettes, comme sur la collecte nette (prestations déduites). Les premières, négatives à la fin de la décennie 2010 sur les supports individuels, n’ont pas cessé de battre leur record historique depuis 2020. La seconde, également en forte expansion depuis 2020, devrait atteindre 5 à 6 fois la collecte moyenne sur les PERP entre 2005 et 2019. Ce record de collecte nette hors transferts d’environ 7 milliards d’euros en 2023, dans un contexte où les flux globaux de placements et d’assurance vie seraient particulièrement faibles, montre que le PER est parvenu à inscrire durablement l’épargne-retraite individuelle dans le paysage des placements financiers des Français.
En 2024, dans un contexte de croissance toujours médiocre (0,7 %, contre 0,8 % en 2023), l’inflation moyenne reculerait à 2,4 %, du fait de la stabilisation à la baisse des prix de l’énergie et de la poursuite de la modération des hausses de prix de l’alimentation, ce qui soutiendrait le pouvoir d’achat des ménages, malgré le tassement de l’emploi. La consommation serait ainsi davantage stimulée que l’année précédente, tout en restant en progression relativement modérée, du fait d’une réduction insuffisante du taux d’épargne.
Ce dernier ne diminuerait que très modérément vers 17,5 % en 2024, ne retrouvant évidemment pas le niveau de 15 % d’avant-Covid, en raison du maintien des incertitudes, et d’une volonté prolongée d’épargne de précaution et de reconstitution du patrimoine réel, face à la flambée antérieure de l’inflation. L’arbitrage en faveur de l’épargne serait aussi guidé par l’anticipation, émanant des ménages aisés, de hausses prévisibles d’impôts, face à la dérive des finances publiques, voire des investissements à réaliser pour la transition énergétique (logement, véhicule électrique). De plus, les revenus financiers et les baisses de prélèvements obligatoires, plus dynamiques depuis 2020, sont généralement moins directement consommés que les revenus du travail.
La baisse des taux directeurs à partir de juin serait a priori justifiée par le repli rapide de l’inflation, le desserrement monétaire de la Fed au printemps 2024 et le risque implicite d’un ralentissement économique prononcé en 2024. Par ailleurs, les deux banques centrales poursuivraient la réduction progressive de leur bilan, la BCE annonçant aussi l’accélérer dès juillet 2024. Cela empêcherait les rendements longs de refluer parallèlement aux taux directeurs et au recul des anticipations inflationnistes, dans un contexte où les primes de risque sur la soutenabilité des dettes publiques de certains pays européens, comme l’Italie ou la France, sont susceptibles d’augmenter. C’est ainsi que l’OAT 10 ans ne diminuerait que peu en moyenne annuelle, se situant autour de 2,8 % contre 3 % en 2023.
Après l’année des arbitrages records en matière de placements financiers, on assisterait sinon à un retour à la normale, du moins à un net ralentissement des arbitrages. Bien qu’en hausse, compte tenu du faible rebond du pouvoir d’achat (1,2 %, après 0,9 % en 2022), le montant des placements financiers (flux hors capitalisation des intérêts et valorisation boursière) subirait encore en 2024 la contrainte du recul de la distribution de crédits, avec des encours de crédit immobilier quasiment stagnants. Le montant des flux placements serait de 44,2 milliards d’euros en 2024, après 34,8 milliards d’euros en 2023, contre 82,4 milliards d’euros en 2022.
On devrait assister à un apaisement des arbitrages sur stocks, surtout en raison de l’absence de variation du taux du livret A (pas d’effet d’annonce médiatique), hormis celui du LEP (passage de 6 % à 5 %) et du PEL (2,25 % au lieu de 2 %). De plus, le repli de l’inflation et, au deuxième semestre, celui des taux directeurs induiraient un moindre reflux des DAV et des livrets B-CSL, ainsi qu’une moindre collecte sur les livrets défiscalisés. Il en résulterait un ralentissement de la collecte des CAT, du fait d’une moindre compétition pour la liquidité, de l’absence de hausse des taux réglementés et d’un recul mesuré des taux courts au second semestre. L’attrait des fonds euros serait amélioré par la revalorisation relative de leur rendement, ce qui porterait la collecte de l’assurance vie vers 21,6 milliards d’euros, les fonds UC étant stimulés par le PERI. L’attractivité des OPC, notamment monétaires, et des obligations, pourrait se maintenir par effet d’entraînement, le repli des taux d’intérêt demeurant modéré au regard du reflux de l’inflation.
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Présentation conférence de presse – 23 janvier 2024 DOCUMENT PDF |
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