Décryptage de la taxonomie européenne [épisode 1]

Vendredi 25 février 2022

Le Groupe BPCE a choisi d’inscrire le climat comme un axe majeur de son plan stratégique à horizon 2024. L’enjeu est considérable et aussi extrêmement complexe. Nos experts proposent à nos parties prenantes, en deux épisodes, un éclairage sur le projet de taxonomie verte de la Commission européenne. Décryptage.

Si le consensus scientifique sur l’origine humaine du réchauffement climatique est avéré depuis des décennies, la prise de conscience, par les acteurs socio-économiques, de la nécessité de réduire les émissions mondiales jusqu’à atteindre un état de « neutralité carbone » est pour sa part plus récente. Selon le rapport du GIEC, à moins d’une réduction immédiate, rapide et à grande échelle des émissions de gaz à effet de serre, limiter le réchauffement à 1,5°C sera hors de portée.

L’atteinte de la neutralité carbone fait désormais l’objet d’initiatives multiples, notamment du secteur financier. Face à cet enjeu majeur, tous les acteurs économiques, des entreprises aux États, ont un rôle à jouer. Selon l’OCDE, 6,35 trillions d’euros d’investissements annuels dans des initiatives de réduction carbone sont nécessaires pour respecter les objectifs climat de l’Accord de Paris d’ici à 2030. Or, les engagements du secteur public sont insuffisants pour relever ce défi et la mobilisation des institutions financières et des capitaux privés est indispensable.

Si une économie bas carbone émerge progressivement, il est primordial de définir, au niveau européen, un corpus de règles, d’outils et d’incitations afin d’accélérer la transition environnementale. D’où la nécessité de créer un langage commun à travers une taxonomie verte européenne, incitant les investisseurs à soutenir la dynamique de l’Union européenne en matière environnementale. À ce jour, toutes les modalités de cette « taxonomie verte », notamment de son déploiement et de son appropriation, ne sont pas totalement finalisées et le travail de fond sur de nombreux aspects est toujours en cours. Reste aussi à savoir si les incitations et dispositifs découlant de la taxonomie verte seront suffisamment exigeants pour répondre aux enjeux climatiques et environnementaux. 

 

La nécessité d’une taxonomie verte au sein de l’Union européenne 

Le terme de taxonomie, utilisé à l’origine dans les sciences naturelles, vient du grec nómos (la loi, la règle) et de ónoma (le nom). Il désigne les « méthodes de classification ». Lancé depuis 2018 par la Commission européenne, le projet de taxonomie verte vise à établir une méthodologie de classification commune. Elle consiste notamment à définir les seuils d’émissions carbone et tous les critères additionnels spécifiques à respecter pour que les activités d’une entreprise ou d’un produit financier (portefeuille ou fonds d’investissement par exemple) soient considérées comme « durables ». Cette taxonomie concerne plus de 90 secteurs d’activité économique représentant 93 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union européenne en 2021 ─ couvrant ainsi la quasi-totalité des secteurs émetteurs à mobiliser pour lutter contre le réchauffement climatique.  

Dans le secteur privé, la taxonomie verte a valeur de « label » ou de référentiel : les acteurs financiers qui investissent dans des activités à fortes émissions de carbone ne sont pas directement pénalisés et les entreprises déclarent « seulement » la proportion de leurs activités alignées aux critères de la taxonomie. Néanmoins, il est attendu que cette transparence encourage les acteurs de marché et facilite des arbitrages en connaissance de cause des investisseurs.  
La classification et les informations rendues publiques ont pour objectif de tracer ou comptabiliser les flux financiers investis dans des activités économiques contribuant positivement à la résolution des défis environnementaux tels que la lutte contre le changement climatique mais aussi la protection de la biodiversité. In fine, la taxonomie consiste à permettre aux acteurs de marché d’identifier et favoriser à leur gré et selon la contrainte que leur imposent leurs parties prenantes, les investissements bénéfiques à la planète au détriment de ceux qui sont néfastes.  

Les avantages d’un outil au service de la transition environnementale  

En distinguant ce qui est vert de ce qui ne l’est pas ou insuffisamment, ce cadre est un outil de transparence, de comparaison et d’harmonisation pour les acteurs économiques. À terme, il pourrait permettre de lutter contre certaines dérives comme le greenwashing en simplifiant la comparaison des produits et de leur caractère « vert ». Le système de classification de la taxonomie européenne couvre six objectifs environnementaux : 

Une activité est considérée comme « durable » si elle contribue substantiellement à l’un de ces six objectifs environnementaux, sans causer de préjudice important à l’un des cinq autres.  

Les limites de la taxonomie verte : de multiples désaccords et débats  

Le Parlement européen a adopté un règlement définissant la taxonomie verte qui entrera progressivement en vigueur jusqu’au début de l’année 2023. Cette « grammaire environnementale » de l’Europe doit permettre aux investisseurs de savoir si leurs placements contribuent aux objectifs définis dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe – à savoir la neutralité carbone à horizon 2050 ─ préalable au respect de l’Accord de Paris de 2015. Pour que les organismes financiers accèdent à ces informations, les entreprises devront publier officiellement le niveau d’éligibilité de leurs activités à la taxonomie d’ici à la fin 2022. À ce jour, les informations fournies par les entreprises sont disparates, d’où la nécessité de mettre en place des structures standardisées.  

Pour les États membres de l’UE, la définition de cette taxonomie verte revêt un enjeu financier et surtout d’influence économique et réglementaire majeur, surtout si les aides européennes (régime des aides d’État, comptabilisation des déficits publics) sont amenées à couvrir uniquement les activités économiques et énergies qui entrent dans le cadre de cette taxonomie – ou à leur bénéficier davantage. Le 2 février 2022, la Commission européenne a publié un texte législatif relatif à l’intégration du nucléaire et du gaz dans la taxonomie, sous des conditions plus ou moins strictes et applicables. Ce projet pouvant rendre les centrales nucléaires et à gaz alignées à la taxonomie fait l’objet d’oppositions de la part de certains États européens, à l’instar du Luxembourg et de l’Autriche. Ils espèrent bloquer l’adoption de ce texte en engageant un contentieux auprès de la Cour de justice de l’Union européenne. D’autres pays, favorables à leur introduction, comptent fortement sur l’énergie nucléaire, comme la France, ou sur le gaz, comme l’Allemagne, pour atteindre à court et moyen terme leurs objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.  

Un projet européen complexe en cours de définition 

Le projet de taxonomie verte demeure inachevé et fera par construction l’objet d’actualisations et d’ajustements réguliers : tous les secteurs ne sont pas encore couverts (le secteur minier est par exemple non couvert) et les critères techniques liés à quatre des six objectifs environnementaux n’ont pas encore été définis. À moyen et à long terme, d’autres classifications sont envisagées, notamment une « taxonomie brune ». Cette dernière, à l’inverse de la taxonomie verte, viserait à signaler les activités les plus néfastes aux objectifs environnementaux, notamment au changement climatique, et à avertir des risques encourus à travers une trop grande exposition à ces secteurs. Elle contribuerait à une réorientation des flux de capitaux de ces secteurs considérés comme « néfastes » ou incompatibles avec nos objectifs climatiques, vers ceux considérés comme neutres ou durables.  

La Plateforme sur la finance durable, un groupe consultatif d’experts chargé d’aider la Commission européenne dans la mise en œuvre du Plan européen de Finance Durable, propose davantage de granularité dans la taxonomie. Elle étudie la possibilité d’une taxonomie organisée en plusieurs niveaux (verte, brune et neutre) permettant plus de nuances et de finesse dans l’analyse des performances environnementales (durables, intermédiaires ou néfastes).   

En parallèle, la possibilité d’une taxonomie sociale est également à l’étude et a fait l’objet de premiers travaux en 2021 avant un arbitrage prévu en 2022 sur la nécessité, à court terme, d’approfondir et concrétiser cette piste. Elle aurait pour objectif de rediriger les flux de capitaux vers des entreprises et des activités qui respectent les droits humains et font preuve d’une bonne gouvernance d’entreprise. Elle permettrait aussi de soutenir les investissements qui améliorent les conditions de vie en assurant la satisfaction de besoins essentiels (logement, transport, santé, etc.), en particulier des populations défavorisées.  

Le chantier des taxonomies reste inachevé, en outre, il est mondial, avec de nombreuses initiatives dans différentes juridictions (Chine, Royaume-Uni, Canada, Russie, Afrique du sud, Chili, Mexique, etc.) et de nombreux aspects sont à préciser. Il est, par construction, appelé à évoluer régulièrement et à connaître des adaptations. 

Retrouvez l’épisode 2 de notre décryptage de la taxonomie européenne ici.

Sources :

Summary for Policy Makers of the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) Special Report on Global Warming of 1.5ºC 
OECD. 2017, Investing in Climate, Investing in Growth, OECD Publishing, Paris.
Taxonomie verte : comment l’Union européenne promeut les activités en faveur du climat, Toute l’europe.eu, novembre 2021.
La Commission européenne dévoile un projet classant les investissements dans le nucléaire comme « durables », Le Monde, janvier 2022.
La Taxonomie européenne : pièce centrale de la stratégie réglementaire européenne pour une finance durable, Carbone4.com, juillet 2021.
La taxonomie européenne des investissements verts : ambitions, tractations, capture, Alternatives économiques, avril 2021. 
La taxonomie, un dictionnaire européen pour définir les activités « vertes », Les Echos, janvier 2022.
Brussels proposes green label for nuclear and natural gas, The Financial Times, January 2022.