Nous avons trouvé contenus pour ""
Désolé, nous n'avons pas trouvé de résultat. Veuillez poser une autre question.
Cette recherche n'a pas pu être traitée en raison d'un trop grand nombre de tentatives en peu de temps. Veuillez réessayer plus tard.
sur
Vendredi 12 novembre 2021
Marcel Van Triest est le routeur du Maxi Banque Populaire XI engagé dans la Transat Jacques Vabre. Navigateur reconnu et météorologue hors pair, il nous explique comment il intervient sur les choix stratégiques d’une telle course.
Marcel Van Triest travaille depuis de nombreuses années comme routeur pour les différents bateaux du Team Banque Populaire et avec Armel Le Cléac’h, le skipper du Maxi, plus particulièrement. C’est l’un des routeurs les plus réputés du monde de la course au large, cette fonction de l’ombre si importante dans une course comme la Transat Jacques Vabre où le routage est autorisé.
Alors qu’Armel Le Cléac’h et Kévin Escoffier sont partis à l’assaut de l’Atlantique Nord sur Banque Populaire XI accompagnés de toute la flotte de la Transat Jacques Vabre, un homme dispute la même course, non pas sur un bateau mais… dans un appartement quelque part aux Baléares. Marcel Van Triest est en effet le routeur du Team Banque Populaire qui travaille en osmose avec les deux skippers afin qu’ils suivent le meilleur chemin possible compte tenu de leur bateau, de la météo, de la mer, de la fatigue des marins… C’est au fond un vieux métier. Auparavant, le marin chargé de la navigation était sur le bateau et scrutait le ciel, les étoiles… tous les signes afin d’orienter la trajectoire du bateau, les choix de voile…
C’est toujours la même fonction, sauf que l’un de ces marins regarde désormais des ordinateurs dans un bureau. « C’est exactement ça, explique Marcel Van Triest, la philosophie reste identique. C’est comme pour un chirurgien d’il y a un siècle comparé à un chirurgien d’aujourd’hui, les outils ont changé mais il faut toujours opérer. » Même si le changement climatique modifie la donne et perturbe le travail de navigation. « Ça interfère dans le sens où certaines situations sont devenues moins fiables. Un routage ce n’est pas de la climatologie, c’est de la météo… Mais on assiste à plus de phénomènes extrêmes. »
L’accumulation des données météo est une activité récente. « L’observation des conditions en mer à l’échelle de la planète remonte seulement à 30 ans, explique Marcel Van Triest. En Hollande, les données compilées à terre ont à peine un siècle… On ne connaît pas la météo des Romains. Alors on essaie de reconstituer les observations pour alimenter les modèles afin de prévenir et comprendre le changement climatique. Par exemple, on étudie de vieux journaux de bord de capitaines de bateaux du XVIe siècle pour essayer de trouver leurs observations. Ainsi on voit que le 3 janvier 1512, il a changé de voile, on demande alors à un expert en vieux gréements d’essayer de dire ce que cela signifie en termes de force de vent… »
Marcel Van Triest a connu toute l’évolution qui a mené de ce travail d’observation sur le bateau à la maîtrise de fichiers informatiques et d’algorithmes. Sa carrière raconte ces bouleversements. Il a débuté la voile chez lui aux Pays-Bas « En 1989, j’ai commencé à naviguer en France. Je faisais alors des études d’économie à Rotterdam, avec une spécialité dans la finance. J’étais donc plutôt scientifique, ce sera important pour la suite. J’avais en effet l’habitude de compiler et d’assimiler beaucoup d’informations… » Marcel Van Triest participe à ses premières courses comme la Whitbread (NDR : un tour du monde en équipage à étapes).
« À l’époque, c’était encore accessible pour un étudiant. » Il est ainsi sollicité par le skipper français Alain Gabbay pour intégrer un maxi italien. « Il m’a envoyé faire un cours de navigation chez Jean-Yves Bernot à La Rochelle. Je ne parlais pas un mot de français. Il réalisait un routage, c’était comme un stage. Il a dû dire celui-là il n’est pas trop con… » Et c’est ainsi que Marcel Van Triest intègre l’Équipe de France de la Mumm Admiral’s Cup en 1991. Et, cette équipe va remporter ce trophée qui est l’équivalent du championnat du monde de course au large. Cette victoire demeure aujourd’hui encore l’un des grands exploits de la voile française. Jean-Yves Bernot était alors le navigateur en chef de l’ensemble de l’équipe qui comportait trois bateaux. Le jeune Marcel a visiblement bien appris. « Cette victoire a lancé ma carrière de navigateur professionnel », explique-t-il. Marcel Van Triest vit alors les premiers pas de la technologie embarquée sur le bateau. « Les premiers ordinateurs arrivent en 1987/88. La société Maxsea a conçu le premier logiciel de routage accessible à tout le monde. Jusque-là il y en avait dans des instituts pour de grosses compagnies pétrolières. »
Au fil des courses, Marcel Van Triest devient un navigateur reconnu. « Je faisais alors beaucoup de régates, je naviguais 250 jours à 300 jours par an. Et puis, à l’hiver 97/98, j’étais en escale au Brésil et j’ai été contacté pour faire le routage d’un grand trimaran pour Franck Cammas. Ça a été mon premier routage à terre. » Et c’est ainsi que Marcel Van Triest va se spécialiser et devenir l’une des références du routage dans le monde de la course au large. Cette discipline qu’il résume ainsi : « La base du routage, c’est un algorithme qui définit la route optimum avec les prévisions de vent disponibles en fonction du potentiel de vitesse du bateau avec une certaine force de vent et un certain angle de vent. »
Bien sûr, le métier a considérablement évolué depuis ses débuts. « Quand j’ai commencé à naviguer, simplement savoir où l’on se trouvait demandait beaucoup de travail et de connaissance. Aujourd’hui, n’importe quel mobile donne cela instantanément. En 1989, le premier GPS en Hollande était une caisse noire qui pesait 30 kilos et qui donnait une position trois heures par jour au total. Maintenant c’est une puce qui coûte trois dollars… Il n’y avait pas de fichier météo. Il y avait des cartes établies par des centres météo que l’on recevait par radio qui étaient à peine lisibles… Il n’y avait pas d’infos sur certaines parties du globe. Dans le Pacifique, trois bateaux donnaient une info et on devait faire une carte météo. Aujourd’hui on a les images satellites, on peut donner la vitesse du vent en surface… En 1989, on avait investi sur un ordinateur, il avait 4 mega de RAM et ça coutait 20 000 euros… »
Les moyens dont va bénéficier Marcel Van Triest pour cette Transat Jacques Vabre afin de router le Maxi Banque Populaire XI d’Armel Le Cléac’h sont désormais très développés. Mais reste-t-il de la place au routeur pour se singulariser et faire parler sa science de la navigation ? « Absolument, car si les modèles restent fiables à trois jours, après ça n’est plus vrai, ils peuvent diverger. C’est là où l’on doit définir ce qui est probable. On essaie de comprendre ce qu’est une situation météo stable et ce qui peut la perturber. » Le passé maritime de Marcel Van Triest, toutes ces situations vécues en mer, font alors la différence par rapport à des routeurs qui n’ont pas son expérience de navigateur. « Surtout, explique Marcel, la différence que peut apporter un parcours comme le mien n’est pas tant sur les connaissances météo que du point de vue psychologique dans la relation que je peux avoir avec le skipper. Il sait que je suis passé par les mêmes choses ; quand je lui dis ça va aller ou bien ça va être très dur, il me fait confiance. Alors que pour un ingénieur sorti de son bureau c’est plus difficile d’être convaincant. »
« J’ai travaillé avec des ingénieurs météo. Je me suis aperçu que je savais un petit peu de choses dans beaucoup de domaines tandis qu’eux sont très spécialisés. Mais entre dire “demain il va pleuvoir“ et dire “voici le scénario météo le plus probable, mais s’il y a cette ligne de convergence qui se développe on passe sur une piste moins probable mais pas impossible“, c’est une façon différente de voir la météo. On peut avoir deux modèles contradictoires qui donnent, par exemple, à un endroit donné dans cinq jours une dépression et l’autre qui donne un anticyclone… Or moi je dois décider où passe le bateau… »
Le routeur est ainsi confronté à des choix fondamentaux qui vont souvent décider du sort de la course sans passer sous silence qu’il en va aussi de la vie des hommes à bord. « On en a bien conscience… assure Marcel Van Triest. Le plus important c’est le choix que l’on effectue dans le rapport risque/gain de temps. Si je vais à fond, je gagne la course mais il y a des chances que ça casse… La question est de savoir où tu mets le curseur sur le danger. Et puis il faut faire attention de ne pas cramer le skipper, on doit gérer sa fatigue. En solitaire (ou en double), tu pars avec un skipper qui a les batteries de son énergie pleine. Si toi routeur tu tires trop, tu vides trop vite la batterie. Je peux demander deux ou trois fois un effort extrême mais pas chaque jour… C’est un dialogue permanent. »
Marcel Van Triest a établi un vieux compagnonnage avec le Team Banque Populaire. Il a été du record de l’Atlantique Nord avec Loïc Peyron, de la victoire dans la Route du Rhum lorsque celui-ci a remplacé Armel Le Cléac’h…
« C’est important de travailler dans la continuité avec une équipe comme Banque Populaire. Un projet comme celui-là est un travail collectif, le boulot du routeur est important mais celui qui a fait le composite sur la coque aussi. Chaque acteur compte. » Mais bien entendu sa relation avec le skipper est fondamentale dans le sort d’une course comme celle-là. « Ça fait très longtemps que je travaille avec Armel, dit-il. Nous avons une histoire commune et cela a créé de la confiance entre nous. C’est une relation de respect mutuel. C’est important de sentir l’autre personne. Par exemple quand je dis quelque chose, il doit percevoir que c’est très important. »
Durant la course, Marcel se trouvera donc chez lui aux Baléares et sera en lien direct avec Armel Le Cléac’h et Kévin Escoffier comme s’il était avec eux sur le bateau. « J’ai toutes les données du bateau. Je vais vivre sur le même rythme qu’eux. Sur une course comme ça, je dors maximum 45 minutes d’affilée. » Il mangera juste mieux que les deux marins. « Ce n’est pas sûr du tout… » sourit le routeur.
Cette osmose entre ces marins, à terre et sur l’eau, va à nouveau guider Banque Populaire XI sur l’Atlantique au fil des multiples informations traitées mais aussi au gré de leur sens marin si aiguisé. Et qui au final fera la différence. Comme cela l’a toujours été.
Suivez la course et la position du Maxi Banque Populaire XI sur le site www.voile.banquepopulaire.fr et les réseaux sociaux @VoileBanquePopulaire
Légende photo : Marcel Van Triest avec Armel Le Cléac’h et Kévin Escoffier